Témoignage de Mme Jeanne Cilia

 

J'ai été déportée le 3 mars 1943 par la Gestapo. J'ai été arrêtée en Alsace car je suis de là-bas. On a été envahi les premiers en 40, j'avais donc 20 ans. On a été annexé. Alors mon père, il a dit "pas question" et j'avais un frère qui avait l'âge d'être soldat, donc qui devait être soldat allemand. Et bien, mon père a dit "on va le faire partir". Toutes les nuits on était dehors, on a fait partir mon frère, on a fait partir les copains et tout ça… A travers les bois, les Allemands nous ont jamais arrêtés, c'était la nuit que cela se passait et à travers les bois jusqu'à la frontière mais on a été trahis, la délation, c'est ce qu'on appelle la délation.Nous étions à Illfurth.

 

La déportation

On est partis donc comme ça, arrêtés. On a été une dizaine de jour dans une école ménagère, rassemblés. On y est resté, on était déjà beaucoup de monde, je ne peux pas dire mais au moins mille personnes. C'était un rassemblement. déjà mon père il avait l'idée de s'évader là. Il avait des idées d'évasion mais ça n'a pas pu faire. Parce que ce bâtiment, qui était un joli petit castelet, était gardé, quand même, par les Allemands avec revolver au poing, ils étaient toujours armés. Toujours. Peut-être 8 jours après, un train est arrivé et on est parti en train de marchandises et on a monté, monté, monté, sur l'Alsace, on a traversé le Rhin du coté de Sarrebrück et on nous a mis à Sarrebrück dans une caserne, comme une prison, un truc comme ça. Et là on était déjà pas mal de nationalités, tous les gens qui venaient de l'est, les Lorrains, les Alsaciens, les Luxembourgeois, les Belges, les Hollandais. tous ces gens qui étaient de l'Est, ils les parquaient là et puis après on a été, tous les jours il y a eu un départ, on savait pas où. moi, j'ai donc atterri à Ravensbrück. Mes parents, mon père était à Buchenwald et ma mère, je ne savais pas où elle était, de toutes façons ma mère n'est pas rentrée, hein…. et… elle est morte dans une mine de sel.
On est venu nous arrêter à 2 heures du matin le 3 mars 43 et on nous a dit "faut amener à manger pour trois jours". Amener à manger pour trois jours en 43, c'était déjà les restrictions, on avait les cartes de ravitaillement et on n'avait rien d'avance, on n'avait rien. Ma mère a quand même amené des lentilles, des pâtes… fallait les faire cuire, on n'avait rien. Et mon père "tu leur donnes pas aux Allemands!" Il a tout foutu dans un fossé. On n'avait rien sauf un bout de pain chacun. Le pain était rationné, on ne savait pas. Mais mon père savait où on irait. C'était bien ça. C'est quelque chose que je n'arrive pas à leur pardonner aux Allemands. Ils s'en sont pris aux civils, aux femmes, aux enfants. A Auschwitz, les Juifs… ils n'y étaient pour rien!

 

L'arrivée au camp, le pillage

Q: vous aviez déjà des cheveux?
Non, non, on était rasé mais ça avait repoussé un peu. Quand on est arrivé on était dans un bloc en quarantaine. Ca veut dire enfermées pendant 40 jours. Personne n'a fait vraiment quarante jours, moi j'ai fait trois semaines. Le temps qu'ils nous rasent, qu'ils nous donnent nos vêtements, ils nous ont pris toutes nos affaires à nous, tous no bijoux. Moi je n'avais rien, juste une montre en inoxydable mais ils l'ont pris aussi. si j'avais des boucles d'oreille que ma grand-mère m'avait offert, c'est parti aussi. Ils avaient le culot de dire on vous rendra tout ça quand vous partirez: tu parles! On n'a rien vu. Personne a rien eu. Ils ont même arraché les dents en or à celles qui avaient des prothèses en or. Pour eux c'était de l'argent. Ils en avaient ramassé des tonnes en parlant de tous les camps qui existaient. Ils ont tout pris. C'est une honte de la part d'un pays civilisé. Hitler les a tellement entortillés. Les gars qui étaient gardiens chez nous, c'était des jeunes, des moins jeunes et alors évidemment, ils étaient payés et à mesure qu'ils avançaient, qu'il y avait tant de morts, ils avaient un galon en plus. La paye elle était en rapport. J'ai parlé avec un allemand, une fois. Vous avez fait ça comme des sauvages, même les sauvages, ils n'auraient pas fait ça. Il m'a dit je n'arrive pas à comprendre, c'était la guerre. Une guerre c'est avec des soldats, hein? Là on était pratiquement tous des civils. Alors il en a convenu, que c'était pas bien. Il y avait des Allemandes dans les camps. Ils étaient vicelards (les nazis). J'avais une institutrice allemande avec moi, dans le camp, je lui ai demandé ce qu'elle faisait là. Elle avait été dénoncée par ses enfants, à l'école. Vers 6-7 ans, ils ne savent pas mentir et le maître leur avait demandé si les parents étaient pour ou contre Hitler, il avait répondu qu'ils étaient contre. Ils avaient été arrêtés et elle ne savait rien de son mari, ni de ses enfants. Ils étaient déjà aux Jeunesses Hitlériennes. Son mari ne voulait pas. Finalement, elle était là. C'est pas de la guerre ça. (elle montre les photos des expérimentations médicales) Ca s'infectait. Elles en sont mortes toutes. C'est quelque chose qu'on ne peut pas supporter.

 

Le travail forcé

Et moi dans ce camp là, j'ai fait le bûcheron. Alors vous savez descendre un arbre là, c'est pas un boulot, c'est pas un truc pour moi. Je sais le faire maintenant, j'en ai déjà descendu mais attention on n'avait pas de tronçonneuse, c'était à la main. Et un jour, quand j'ai  été nommée pour aller dans les bois. d'abord je travaillais, il y avait tout près de ce camp un lac et il fallait sortir du gravier, pour faire des routes, pour faire des choses comme ça. C'était pénible, c'était très dur, on était les pieds dans l'eau, tout ça. Et un jour j'ai été désignée pour aller dans les bois. Le matin on avait appel, à 4 heures du matin il y avait appel, on nous appelait par notre matricule, on n'avait pas de nom. Et j'ai été désignée pour aller dans les bois. J'avais tendance à dire, parce que je comprenais ce qu'ils disaient, je comprends l'allemand, je disais que je n'avais jamais fait ça, mais quand il a sorti le revolver, j'ai su faire, je suis partie tout de suite, par alors autrement je serai pas là. Et j'ai eu de la chance, je suis peut-être tombée sur un qui était un plus doux que d'autres parce qu'ils tiraient, c'était facile pour eux. J'étais dans les bois et finalement j'ai gagné d'être dans les bois parce que dans le lac c'était plus pénible, les pieds toujours dans l'eau, le froid et tout ça. De toutes façons on n'avait rien  pour nous garantir. C'était notre costume rayé. Et puis rien, y'en a qui avait genre des petits bérets mais moi j'ai eu un triangle comme ça sur la tête. Alors le soir quand c'était mouillé fallait coucher avec, on n'avait pas le choix, y'avait pas autre chose, hein. J'ai donc fait le bûcheron avec des Russes et des Polonaises. Et bien, descendre un sapin qui fait 12-15 mètres de haut, faut du temps et puis en bas il est comme ça (elle fait signe avec ses bras). On avait des scies, ils appellent ça ici un va-et-vient. C'est une grande scie, longue avec une poignée de chaque côté. Une d'un côté et moi de l'autre, il fallait scier. On mettait pratiquement 8 jours des fois, parce que c'était gros. Et puis après il fallait l'ébrancher, le couper, on était gardé, inutile de vous le dire. Le gardien mettait une peinture rouge tous les mètres, pour stérer le bois, donc, c'était pour vendre, pour être vendu.

Q: le gardien?
C'était un SS qui nous gardait. Mais après quand le sapin était en bas, qu'il était ébranché, qu'il était coupé, c'est qu'il fallait sortir les racines, et tout à la main, et puis j'aime autant vous dire qu'un sapin de cette hauteur, les racines c'est profond… Alors là on mettait encore plus de /8 jours pour les sortir les racines et tout à la main avec des pelles, des pioches, des choses comme ça. y'avait qu'une chose, ce qui était bien c'était quand on était dans le trou, on sentait beaucoup moins le vent. Parce que Ravensbrück c'est pas loin de la mer Baltique, alors le vent était froid. C'est pas difficile, ils appelaient ça la Petite Sibérie. Tellement il faisait froid et on n'avait rien à mettre sur le dos de plus. On était toujours habillé pareil et le soir on se couchait sur nos châlits. Sur la paille. Y'avait même plus de paille dedans à force… On était tellement nombreux que ça devenait de la poussière. Et il fallait se coucher habillée, parce qu'on n'avait rien.
Vous savez pour… pour se sortir de là, je me demande comment (sa voix se brise), enfin (vivement), on en est quand même sorti pas mal. Y'en beaucoup.
Couchée là-dessus, pour s'endormir, y'en a qui pleuraient, d'autres qui hurlaient, d'autres qui gémissaient, el matin y'en avaient des mortes, il fallait les sortir, c'est pas eux qui le faisaient, c'était tout nous, les prisonnières. Il fallait les sortir.
Alors, mais finalement, on vivait là dedans, j'y étais deux ans pratiquement. Oui, deux ans. On a une forme d'accoutumance. Tous les jours, on ne savait pas les jours, la date qu'on était, si le jour on savait, le dimanche on ne travaillait pas, c'était donc dimanche. Et après on comptait lundi, mardi…un peu comme ça. Je ne veux pas oublier non plus, oublier bien sûr, mais je ne veux pas leur pardonner non plus. Il est vrai que cette génération maintenant elle n'y peut rien.
Actuellement, il y encore des camps qui existent mais dans quelques années il n'y en aura plus. Parce qu'il y a déjà les kommandos, tout ce qui était petits kommandos, les usines et tout, ça n'existe déjà plus. Les grands camps existent encore: Auschwitz, Ravensbrück encore mais ça commence à battre de l'aile, c'est envahi par la végétation, il n'y a plus grand'chose qui se présente là-bas, y'en a un qui restera certainement toujours c'est Auschwitz. Buchenwald c'est encore là, Dachau oui, Mauthausen…

 

Les sabots

On n'avait rien à voler mais la nuit, on quittait nos sabots, il fallait les cramponner dans les bras, autrement le matin on n'en avait plus qu'un. Et alors les Allemands ils avaient une drôle d'affaire. C'est pas celui qui a volé qui était puni, parce qu'on ne le trouvait jamais le gars ou la fille, c'est celle qui a été volée qui était punie. Elle avait plus qu'un sabot, alors! Fallait en redemander un… mais on n'en avait pas comme ça. Moi j'avais des sabots de deux numéros différents. Y'en a un qui me faisait rudement mal aux pieds et l'autre je le perdais, alors… J'avais les pieds dans un état pas possible. Et j'avais une copine, elle , elle avait les deux sabots du même pied, alors pour marcher, j'aime autant vous dire… on faisait la distribution, ça tombait comme ça. C'est passé mais c'est quelque chose qu'on ne peut pas oublier. C'est pas possible.

 

La libération

J'ai été libérée à Dachau par l'armée américaine du général Patton. Le 29 avril 1945. Parce que, il est vrai que chaque camp a eu différentes dates pour être libéré. C'était suivant de quel côté c'était. J'ai été évacuée de Ravensbrück, je ne peux pas vous dire à un jour près, le 5 ou le 6, 7 mars 45 et j'ai cru qu'on allait rentrer. La blockova, c'est la surveillante du Block, y'avait pas de Françaises qui étaient blockova, c'étaient souvent des Polonaises. Dans la nuit, elle est arrivée "il m'en faut 20 vous allez partir: toi, toi, toi" au hasard, comme ça, j'étais dans le tas. On est parti comme ça à 3 heures du matin, à pied, jusqu'à Fürstenberg. C'était la petite ville la plus proche de Ravensbrück. Y'avait environ 4 km à faire à pied. J'étais malade, j'étais malade pas possible. J'ai entendu deux coups de feu, pendant ça, y'en a deux qui ont du tomber, qui ne pouvaient pas suivre. Donc on était toujours 5 par 5, j'étais au milieu, je me tenais de chaque côté parce que j'avais une crise de cystite, je pouvais presque plus marcher. On est arrivé à Fürstenberg, y'avait un train en gare et on a vu à travers les machins qu'il y avait des déportés dedans, des hommes et il restait deux wagons vides au fond du train. Donc c'était, ils nous ont enfournées là-dedans, les femmes, on était je ne sais pas combien. On a roulé 3 jours et 4 nuits, pour finalement, ce convoi a été mitraillé déjà par les Alliés, il n'y a pas eu de morts mais des dégâts sur les wagons, par les Alliés, en avion. Et bien finalement on est rentré au camp de Dachau. Ils nous ont rentré au camp de Dachau. Là il y avait un monde, là-dedans pas possible, on nous a poussé au fond du camp, il était long pas possible. Et puis on était dans un block, il n'y avait que des curés de toutes les nationalités.

Q: vous étiez avec des hommes?
Non, non, ils les ont poussé, ils ont fait une paroi et nous ont poussé là-dedans. Et le matin malgré tout, on avait appel. Appel, tous les matins, y'avait appel. Y'avait un curé qui était dehors, c'était un belge, il nous a dit "vous savez on va être bientôt libéré!". J'entendais déjà passer des avions. J'ai dit "oui, on va bien voir". Mais ils passaient tellement bas les bombardiers alliés que j'ai dit "ça y est ils vont nous faire sauter, c'est pas possible". Mais ils allaient bombarder Augsbourg ou Munich, c'était pas très loin, peut-être 40 ou 50 km à peine. Mais alors déjà, quelques bombardiers étaient très très bas sur le camp. On voyait les bombes dessous et on entendait à 50 km, on entendait les bombardements. J'ai dit "on ne va peut-être même pas rentrer". Et le 29 avril 1945, donc, est arrivé un premier char américain. Moi je croyais que c'étaient les Russes, je connaissais rien là-dedans. Le char était kaki, l'étoile dessus, j'ai dit c'est les Américains. y'en avait qu'un seul. Il était environ entre 17 et 18 heures, le soir. Et puis, il était tout seul et les miradors étaient encore occupés. Par les Allemands. Y'en a peut-être un ou deux qui a tiré parce qu'on a entendu deux trois coups de feu. Ca c'est arrêté comme ça. Les Américains, ils avaient déjà à l'époque, des talkie-walkie, pour prévenir l'autre compagnie. Alors les deux gars qui étaient sur le tank, ils ont pu prévenir leur compagnie qui est arrivée après. Quand il sont entrés au camp de Dachau, les Américains ce qu'ils ont trouvé c'est un train entier de cadavres. Des cadavres qui venaient d'autres camps où ils n'ont pas pu les brûler parce qu'il y en avait trop. et bien il y avait des Américains, des garçons qui se sont trouvés mal quand ils ont vu ça. Moi j'étais au fond du camp, j'ai pas vu mais je savais qu'il y avait ce train. Qui devaient être brûlés, parce qu'il y avait les crématoires. Ils ont pas eu le temps. Et puis tout de suite après, de demi-heure en demi-heure, les Américains sont arrivés. Et c'est la compagnie du général Patton. Et bien c'était donc la libération de ce camp. Des copains, des Français, d'autres, y'en a qui sont morts ce jour-là, d'émotion. Parce que (la voix chevrote), voir les Américains, ils savaient pas s'ils allaient rentrer, ou rien, bien ils sont morts comme ça, crise cardiaque, tombés, morts. Je me suis demandée… et là j'ai cru mourir! Parce que les soldats américains c'était des soldats, ils ne savaient pas ce qu'on a subi, pas encore, on nous a distribué de la nourriture. Des boîtes, des boîtes, je suis tombée, ils jetaient les boîtes comme ça, ils avaient déjà les boîtes comme nous maintenant qui s'ouvrent sans ouvre-boîte, à l'époque, déjà. Je suis tombée sur une boîte de haricots blancs, avec du ketchup et une saucisse dedans. J'ai avalé tout ça d'un bloc. Et bien j'ai cru mourir! Oh mais c'est pas vrai, je ne pouvais plus ni marcher ni rien, je tombais dans les pommes, je pesais 32 kg, c'était quand même peu. J'avais un estomac certainement petit, on m'avait dit quand ils m'ont passé à la radio. Un estomac d'un enfant de 10 ans. M'enfiler toute cette boîte de … des fayots! Ah non mais c'est affreux. On est encore resté, on est pas sorti tout de suite. C'était le 29 avril 1945.
Les Américains n'ont pas géré grand'chose… je pense qu'ils ne pensaient pas trouver quelque chose comme ça, parce que là on était des milliers là-dedans. Il fallait déjà s'occuper du ravitaillement et ça ils nos ont donné que des machins en boîte. Petit à petit, il fallait gérer ça parce qu'on ne pouvait pas sortir tout de suite. Tous ces gens étaient tous plus ou moins malades. Ils ne pensaient pas trouver cela. Ils ont travaillé au plus pressé. Ils ont fait hospitaliser quelques-uns à l'hôpital militaire. Je ne sais pas comment cela s'est passé. Nous avons été évacués par camions militaires, vous savez ces camions vert de gris, bâchés, on nous a enfourné là-dedans et on nous a posé à Ulm. C'était des militaires, le chauffeur était un noir, mais noir, pas possible, et grand! Il nous a posé dans les casernes de Ulm. La Croix-Rouge est arrivée, on était à Ulm… et alors là, choc, désinfection et rien pour nous donner. Je ne pense pas qu'ils pensaient trouver des femmes, je ne sais pas ce qu'il pensait. La Croix-Rouge était dépassée par les événements, cette chose là. Ils ont regardé dans quel état on est, et puis on nous a donné à manger. Moi j'étais mal fichue de ma boîte de fayots. Et ils n'avaient pas de vêtements à nous donner. C'est ça. tout le monde à poil, tout le monde avec le DDT partout… et on remettait les mêmes vêtements, ça servait à rien. Les poux étaient dans les vêtements. Et les vêtements c'était pas du tissu raffiné, c'était fait avec du bois, genre de fibranne, des machins comme ça parce que quand mon oncle il a mis le feu, ça brûlait comme du bois… facile… A Ulm, je suis restée 3-4 jours puis Mannheim. Puis Sarrebrück y'avait un pont militaire.
Les deux hôtles à Strasbourg qui nous ont accueillis. On est pas tous rentré à la fois. Y'avait un train avec mille personnes puis un autre. Ceux qui étaient à Auschwitz, c'était loin. Je suis bien copine avec la sœur de Simone Weil qui était à Ravensbrück, elle était dans les scouts, jeannette. Entre Grenoble et Lyon, elle a servi d'agent de liaison. Elle a quand même été prise et a eu affaire à Barbie. Elle a subi la baignoire. Elle a été déportée en tant que résistante. Elle est secrétaire générale dans l'association dont je fais partie.

 

Le retour

Moi je suis sortie le 8 mai, je ne savais pas que c'était la fin de la guerre, le machin. On est parti, c'est la Croix-Rouge qui nous a fait partir mais c'est les soldats américains qui nous ont amené à Ulm, dans les casernes, à Ulm, ça avait été bombardé, il n'y avait plus rien mais il pleuvait comme des cordes, il a fallu trouvé se trouver un petit machin et la Croix-Rouge internationale est arrivée mais que plusieurs heures après. Avec une copine on a trouvé une armoire, c'était une caserne, il y avait des armoires, on l'a posée couchée et on a couché sur les séparations, pour ne pas être trop mouillées mais on était mouillées quand même. et il y avait le typhus, parce que le typhus était au camp déjà à Ravensbrück. Beaucoup de morts du typhus. La CRI, ils ont commencé à sortir d'abord les typhiques. Parce que c'est quelque chose qui est très très contagieux. Et bien j'ai quand même encore mis…  Je ne suis rentrée chez moi que le 24 mai 1945. J'avais tellement hâte de rentrer et j'ai rentré, j'ai trouvé personne. (silence) j'ai trouvé personne parce que… parce que je savais rien de mon père,  mon père était à Buchenwald, je l'ai su après, ma mère elle était morte, je ne savais pas où aller. On est arrivé par train, on ne pouvait pas traversé le Rhin nulle part, les ponts étaient sautés. On a pu traverser du côté de… oh assez haut… euh… il y avait un seul pont qui marchait, on l'a traversé. On est arrivé ensuite sur Strasbourg, y'avait deux hôtels qui faisaient centres d'accueil. J'ai été à l'hôtel des Vosges. Pas dans les chambres, j'aime autant vous dire. On avait des poux, des puces, on avait tout ce qu'il fallait pas… On nous a quand même mis el hall d'entrée avec des chaises longues. On s'est couché là et on attendait un train pour chacun de son côté… mais c'était pas comme maintenant les trains. Y'a des gares qui avaient été bombardées, y'avait plus de gares, c'était de loin en loin y'avait un train. Mais y'avait un haut-parleur qui criait quand même dans 10mn, il y a un train, par exemple, pour Nancy. J'avais une copine qui était de la Corrèze, elle dit je m'en vais. Je lui dis qu'est-ce que tu vas faire à Nancy, tu es de la Corrèze toi? M'en fous, m'en fous, je veux m'en aller, je trouverais bien quelque chose… J'ai jamais plus eu de nouvelles d'elle. Et après ils ont annonçaient, une heure après, un train en direction de Colmar, Mulhouse, Dijon, machin etc. j'y suis allée, Illfurth c'était près de Mulhouse. Et là, arrivée là-bas, à Mulhouse il s'arrêtait déjà pas le train. Je me suis dit "c'est pas vrai, où c'est qu'on va atterrir?". Il pouvait pas s'arrêter parce que la gare de Mulhouse avait été bombardée, il n'y avait plus qu'un rail. On a fait 3-4 kilomètres de plus et j'ai été hébergée dans les usines DMC. Il a mis un atelier à la disposition des déportés, avec des chaises longues aussi. Et puis il y avait des médecins là. Je me colle sur une chaise longue, je vois tourner le plafond. Je me dis "c'est pas vrai", il fallait fermer les yeux, par la faiblesse et tout. J'étais, ça faisait comme un carrousel. Un médecin m'a dit "Mademoiselle, fermez les yeux, fermez les yeux, je vais vous prendre votre tension, on va vous peser". 32 kg. 8 de tension. Il a dit "écoutez je vais vous hospitaliser tout de suite". J'ai dit" ah non, non, non, docteur, je suis à 12 km de chez moi, n'importe comment, je ne sais pas comment je vais rentrer mais je veux rentrer." J'ai pas voulu aller à l'hôpital. Il m'a quand même donné son nom et dit que si ça n'allait pas il fallait le demander à l'hôpital. Alors, il y avait 12 km pour aller chez nous, je ne pouvais pas les faire à pied. Et puis les téléphones c'est pas comme maintenant, un téléphone par village et dans un bistrot et à 10h du soir, y'avait plus de téléphone. Il était minuit. J'ai donné le nom du directeur d'une usine qui se trouvait dans mon village là. Si des fois il pouvait venir me chercher. Il a envoyé tout de même un chauffeur. On est venu me chercher. Au chauffeur je lui ai demandé, j'habite sur la route, je lui ai expliqué où et demandé si la maison était ouverte. Il m'a dit que c'était toujours fermé. Y'a personne. J'ai dit je suis la fille de cette maison. Y'a personne. Il est passé devant et j'ai essayé de voir si je pouvais ouvrir éventuellement. Les scellés étaient mis. Je ne pouvais pas rentrer. J'ai dit emmenez moi deux km plus loin, j'ai un oncle et une tante, si des fois ils pouvaient m'héberger, au moins,  à une heure du matin. Pas de sonnettes, des cailloux contre les volets. Moi, j'entendais mon oncle gueuler par là-bas, qu'est-ce qu'il croyait, il savait pas ce que ça pouvait être. Il a ouvert les volets "qu'est-ce que c'est?". je lui ai dit "écoute c'est moi". Il ne reconnaissait pas ma voix, mais bon, il est quand même sorti. Il fut un temps ils avaient un chien, y'avait même pas de chien qui pouvait aboyer. Quand il m'a vue, il ne m'a pas reconnue. Et j'ai dit, ma tante elle est venue, j'ai dit "écoute, je ne vais pas coucher dans un lit, j'ai des poux". Oh là là quand ma tante a entendu parler des poux, elle a dit "quelle horreur tu as des poux!". Ils ont pu me faire chauffer de l'eau et je me suis lavée dans la cave et j'ai dit à mon oncle de brûler ce que j'avais sur moi pour que je ne revois pas le lendemain matin. Je suis rentrée en rayé, j'avais pas autre chose. A Mannheim, la Croix-Rouge nous a passé à la désinfection, mais on n'avait rien pour se mettre autre chose, on n'avait rien. Alors on était tout nu les bras en croix, les yeux fermés et avec du DDT, et bien on n'avait rien pour nous changer. Cela ne servait à rien. Alors on a remis nos frusques et puis on nous a laissé partir comme cela. Rien. Le soir même mon oncle a brûlé mon machin rayé. Il a fait un petit trou dans le jardin, il a versé du pétrole dessus et puis il a flambé ça: je ne voulais plus le voir! Mais alors me coucher, je ne pouvais pas rester au lit… alors j'ai couché par terre. Sur la descente de lit. Pendant deux ans sur les planches… coucher sur un matelas, j'y suis restée une demi-heure, j'avais mal aux reins, j'étais pas épaisse et puis tout ça, je sentais mes côtes qui… je savais pas. C'était affreux. C'était affreux.
Le lendemain, mon oncle est allé acheter quelque chose dans une pharmacie, il paraît que ça existe encore, ça s'appelait la Marie-Rose. Ca tue les poux et les lentes, sur les cheveux avec un chiffon autour. Des poux, des poux, des poux, c'était pas possible.

 

Les séquelles physiques

Mais vous savez, moi j'ai quelque conséquences de ça. Je travaillais dans les bois, j'ai attrapé une écharde au doigt. Dans mon block, il y avait une française qui était médecin, dans le civil. Et elle avait accès à l'infirmerie. Comme il y avait le typhus, eux ils n'y allaient pas mais elle qui était prisonnière elle avait le droit d'y aller. J'avais une écharde et ça me faisait mal. Je travaillais. Elle m'a dit "écoute moi, il faut que je te l'ouvre". On rentre à l'infirmerie, un des médecins là-bas, Dr Kreite, il crie "qu'est-ce que c'est?". Elle a dit "elle travaille dans les bois, elle s'est mise une écharde etc.". Il était en train d'ouvrir son courrier avec le couteau avec lequel il ouvrait le courrier, il me le plante là-dedans. Il m'a coupé un tendon, alors ça fait que je ne peux bien plier mon doigt toujours. C'était ouvert, y'avait du pu dedans pas possible. L'autre qui avait accès à l'infirmerie volait tous les jours quelque chose: un peu d'alcool, de pansements, y'avait rien de stérile, c'était des morceaux de draps des trucs comme ça mais en fin ça a pu faire que j'ai mon doigt mais il est tordu.
Une autre fois, ça s'était encore autre chose, quand c'était bientôt la fin de la guerre. Ca devait être un dimanche parce qu'on ne travaillait pas. Y'avait deux femmes SS, parce qu'on avait des femmes SS, uniformes et tout et tout. J'ai entendu qu'elles se disaient "tu as entendu il y a un débarquement d'Anglais et d'Américains en France". J'ai du avoir une réaction, comme je comprenais ce qu'elles disaient. Elles m'ont vu, elles m'ont attrapée toutes les deux, m'ont emmenée au bureau du commandant, disant que j'étais une espionne. "Qu'est-ce que t'as entendu?" Rien, j'ai nié, j'ai rien entendu, c'est pas possible. Ils m'ont pris le doigt, ils me l'ont mis derrière la porte, là où il y a les gonds, ils ont ouvert la porte… j'aime autant vous dire. Plus d'ongle, écrasé quoi, je suis tombée dans les pommes, je me suis évanouie. Je ne sais même pas comment je suis arrivée dans mon block, ils ont du me faire traîner. Ils avaient des façons… Quand je suis revenue à moi, ça me faisait mal pas possible mais je me suis dit "si il y a eu un débarquement on va bientôt être libérés!". Alors… et c'était long, c'était long. Je l'ai dit aux autres. Du coup, quand on a été déplacées de Ravensbrück à Dachau je me suis dit "tiens on va rentrer certainement". J'ai cru. Bien non. Ca a été long, assez long parce que les Allemands ils lâchaient pas la proie comme ça. Les Alliés bombardaient, les Allemands tiraient aussi. C'était encore la guerre. Un bazar dans ce pays pas possible. Evidemment toutes les villes ont été bombardées, ce n'était plus que des ruines, ils y ont eu droit. Ils ont fait beaucoup beaucoup beaucoup de mal. On ne peut pas s'imaginer pouvoir faire des choses pareilles. On n'était rien pour la guerre. Ca n'avait aucune importance pour eux.

 

Geneviève De Gaulle

Je vois Geneviève De Gaulle, elle, à cause de son nom, ils l'ont enfermée dans un cachot, 1m50 sur 1m50 et puis noir là-dedans, elle s'amusait avec des cafards. Ils l'ont oublié sans rien manger pendant je ne sais pas  combien de temps… y'a que quand vraiment elle ne pouvait plus tenir, elle cognait comme ça dans la porte, quelqu'un passait, qui l'a signalé. Ils l'ont sorti, elle leur est tombée dans les bras, tellement qu'elle était faible, elle n'y voyait plus clair, elle était comme aveugle. Il a fallu la soigner en France. Elle pesait 28kg quand elle est rentrée. Elle a été hospitalisée à Paris. Son oncle, Charles, a pleuré quand il l'a vu à la gare de l'Est. Elle était dans un état épouvantable. Elle a quand même vécu, elle n'est morte qu'il y a 3 ans. Elle avait 81 ans, elle avait 4 enfants.

 

Survivre

Jamais j'aurais cru d'être là encore à 84 ans. Jamais. Le corps humain, je dis… Mais moi je mangeais n'importe quoi. Vous pouvez pas savoir quand je travaillais dans les bois qu'est-ce que j'ai mangé comme bourgeon de sapin. Il paraît que c'est très bon pour les poumons, ils font du sirop avec. J'en ai mangé des tonnes, j'en avais plein les poches, j'en ramenais pour les copines le soir. Il fallait pas se faire voir. un bourgeon de sapin, c'est qu'on a volé quelque chose aux Allemands, tu parles! J'aurais jamais cru pouvoir survivre à tout ça. Ce qui m'a fichue vraiment en bas, c'est la boîte de fayots des Américains. Parce que là… Il a fallu commencer à manger tout doucement. heureusement que j'ai le moral, ça me sauve. J'ai toujours eu le moral. Là-bas, non. Il y des femmes qui ont abdiqué. Il ne faut pas. Là-bas on n'avait pas le choix, t'as le revolver. Il ne faut pas dire ça. Moi je m'occupe de tout dans ma maison, dehors et dedans. Tant que je pourrais faire je le fais.

 

Les charges lourdes

(A propos des sacs d'herbes à emmener à la déchetterie!) Vous savez ce qu'il faut faire pour les soulever? C'est les Russes qui m'ont appris cela puisqu'on soulevait les troncs d'arbre… Quand vous soulevez, et c'est surtout bien pour les garçons, parce que les hommes ils ont facilement une hernie, dans l'aine, il faut arrêter la respiration au moment où vous soulevez lourd, tu arrêtes la respiration, et quand tu poses, tu expires. Comme ça tu attrapes pas une… et c'est vrai.
C'est les femmes russes qui m'ont appris cela. C'étaient des grandes femmes, costaudes, moins après, mais très larges. On leur parlait avec les mains, je sais quelques mots russes, elles quelques mots français. On se donnait des recettes de cuisine, tu parles. Je leur parlais des frites et de la choucroute, elles me parlaient du bortch… On arrivait à se comprendre. Elles m'appelait Jana, Jana. Elles me faisaient voir qu'il fallait arrêter la respiration au moment de soulever. Puis il faut expirer. J'ai appris des choses quand même! (elle rie) C'était pas drôle. J'espère que vous autres vous ne verrez jamais plus ça. Je ne pense pas.

 

A propos de Gollnisch

Il faudrait pas qu'il me le dise celui-là. Ah oui, oui parce que je dirais dites donc je vais vous faire voir, y'a pas eu de chambre à gaz? y'a pas eu de fours crématoires non plus? Je les ai quand même vidé, les crématoires. Parce que c'est pas eux qui faisaient… on les amenait au four et il fallait aussi les vider et puis comme c'était archaïque, c'est pas comme les fours maintenant, c'était au bois, au charbon, c'était jamais entièrement brûlé, on trouvait des côtes, des crânes, des ossements. c'était à mettre dans un trou ou… commun quoi? Et la chambre à gaz. Ils disaient on va aller prendre une douche. tout à fait en haut y'avait des petites fenêtres, comme ça, longues. Vu de loin, on les voyait les pommeaux de douche. Mais c'était du gaz. Ca m'est arrivé deux trois fois de passer la devant au moment juste, on les entendait crier là-dedans, elles essayaient de chercher l'air, de chercher l'air, de chercher l'air… (à Ravensbrück)
A Dachau, on a été enfermé dans un block et surveillé par les miradors, avec les lunettes et la mitraillette. On avait pas de travail. On a pensé à se sauver mais voilà, mais voilà… c'était pas possible.
Je suis la seule femme en Haute-Savoie, on est plus que trois et l'une est malade, l'autre a beaucoup souffert aussi et ne veut plus en entendre parler. Je suis la seule femme qui sort encore, et puis j'ai une voiture. Alors je peux quand même témoigner dans les écoles.

 

Le retour

Vu la tête que je me payais, que j'avais, mon oncle et ma tante étaient bien obligés de se poser des questions. Je suis restée là, je ne pouvais pas manger. Ma tante, qui n'était pas bonne cuisinière du tout, alors "qu'est-ce que tu veux manger?" "Ne me demandes pas ça, tu sais, j'ai mangé des racines, j'ai mangé des cela…" De la purée, des trucs comme ça. Et justement, je ne voulais pas manger beaucoup, déjà que j'avais, avec ma boîte de fayots là, j'ai été bien secouée… Bien sûr on en a parlé mais finalement… on n'avait pas de nouvelles de mon frère, personne ne m'attendait… Souvent y'a des villages où la mairie a été prévenue. Alors là le maire a essayé d'en avoir.
Mon oncle a voulu que je voie un médecin. Faut se déshabiller. J'avais dans le bas du dos, j'étais toute noire, noire. "C'est votre mari qui vous tape comme ça?" J'ai dit que je n'avais pas de mari, que je rentrais de camp de concentration. Il ne m'a jamais cru. Les 38 kg, il m'a bien dit, "vous êtes maigre!". Noire dans le dos, toute noire, ils avaient des cravaches, la Schlage qu'ils appelaient ça et c'était souvent dans le dos. Ca ne s'en va pas comme ça. Il m'a jamais cru, il me dit "vous me racontez des blagues, qu'est-ce que vous me dites?" Je lui ai dit "Ecoutez docteur, je sors de camp, vous savez bien que ça a existé. J'ai mal dans le dos, je peux pas me voir." et lui me demandait si mon mari me tapait. Il m'a dit qu'il ne pouvait pas me faire partir ça du jour au lendemain mais m'a donné des pommades, tous les soirs, il fallait me masser. Mais il m'a pas cru. Et ça serait quoi. Je lui ai dit "on voit bien que vous étiez peut-être à l'abri". Les gens du village étaient très gentils, ils voulaient tous me donner quelque chose à manger mais je ne pouvais pas manger. Ma tante me faisait de la purée, un œuf, de la soupe, ça me suffisait. Il me fallait me reposer, beaucoup de repos. Il m'a fallu 4 ans pour bien me remettre, exactement. J'avais déjà ma fille. J'avais des cauchemars, je sautais du lit, je voyais les Allemands, j'avais une suée. Mon mari me disait: "t'es plus chez les Allemands". C'était comme ça, pendant 4 ans vraiment. Après ç c'est estompé mais on a tous eu un mauvais moment.
Dans l'Indre, j'ai été chez le paysan, la famille de la femme de mon frère, eux n'avaient pas connu l'occupation allemande. J'ai vu un médecin, il s'appelait docteur Félix. Mon frère m'a emmenée. Il me dit "Qules sont vos symptômes?" "J'ai tout un tas de symptômes sauf des bons: beaucoup beaucoup de cauchemars la nuit, je pèse pas lourd… j'arrive pas à manger n'importe quoi" Il m'a prescrit un régime spécial. "Il vous faudrait pas un enfant tout de suite". On va faire pour, on va voir. J'ai quand même eu ma fille en 47. Ca s'est assez bien passé, petite 2kg500. J'avais quand même un bon gêne selon lui… mon père était en sana après la guerre de 14 et ma mère y est resté! Quel bon gêne! Et finalement je me suis remise. Alors le gêne j'y crois…

 

Itinéraire du frère

Mon frère est parti par la Suisse, où il était en sécurité avec deux copains. Ils ont fait du stop, les voitures roulaient. Ils sont sortis à Annemasse. A Annemasse, y'avaient les Allemands. Ils se sont cachés à l'hôtel de l'Europe. Il se cachait. Il voulait partir plus loin. Ils ont trouvé des gars et il a pu rejoindre le maquis dans les Hautes-Alpes. Avec des chars, des kilomètres à pied… Du côté de Gap. Mais après quand ils ont su que la France se vidait, ils sont quand même sortis et ils ont fait des kilomètres à pied, la nuit. Ils avançaient au fur et à mesure de la libération du territoire. Ils savaient pas où ils allaient atterrir. Dans l'Indre. Au moment où ils faisaient les foins, ils ont aidé pour manger. Ca a mis du temps. Et finalement, il s'est carrément arrêté dans l'Indre et s'est marié avec la fille du paysan où il a fait les foins! On ne savait pas nous, on ne savait rien. On n'était pas rentré. Il ne savait rien non plus. Quand on a su où il était, moi, j'avais pas d'argent, j'avais rien à me mettre sur le dos. J'avais une copine qui travaillait dans un atelier de couture à Mulhouse, qui m'a fait en deux nuits, deux robes. Les vêtements de mes cousines n'allaient pas. Et quand on n'a pas d'argent, on n'est rien du tout, on n'est pas reconnu. On peut rien faire. Et puis finalement, il a pu m'envoyer un mandat- carte pour que je puisse le retrouver. J'ai pris le train et il fallait passer par Paris (pour aller à Châteauroux). Moi, je ne connaissais pas Paris. Il fallait changer de gare. Je demandais à tout le monde, ils connaissaient pas… Je suis tombée sur un policier "Il faut m'indiquer la gare d'Austerlitz". Alors il a demandé à son chef et celui-ci m'a amenée à la gare avec sa voiture, pin-pon pin-pon … Mon frère a attendu deux trois trains, il savait que j'allais venir. Il ne m'a pas reconnue. Moi, je l'ai reconnu bien sûr. Mais moi il ne m'a pas reconnue. C'était quelques semaines après. Ce pouvait être en juillet. Il ne m'a pas reconnue; "Oh là là" qu'il a fait "c'est pas possible!". Et je dois à ces gens là ma santé. J'ai pu commencer à manger comme un bébé. Ils avaient des vaches, des œufs… Petit à petit, plusieurs fois par jour. Il a fait venir le médecin. Le médecin de la famille de sa femme a dit "voilà ce qu'il faut, il faut qu'elle mange très peu, pour pas que l'estomac emmagasine beaucoup de choses, très peu et plus souvent, toutes les trois heures". Comme un enfant. C'est comme ça que j'ai pu me refaire un peu la santé.
Le père, la mère, le mari
Je n'avais pas de nouvelles, il était au camp de Buchenwald. Quand il est rentré , il était tellement dans un mauvais état aussi, quand il est rentré, en cours de route, il est passé par Nancy, lui. Il a fallu l'hospitaliser, le sortir du train et l'hospitaliser, à Luneville. Moi, je ne savais rien de lui, on ne savait rien de lui, personne ne savait rien. Il est rentré bien après moi, moi j'étais déjà partie, chez mon frère. Parce qu'il était en très très piteux état aussi. Et puis après on attendait toujours ma mère… qui… elle n'est pas rentrée…. mais des années après, j'ai seulement su où elle était. Alors, par recoupements, par mon association à Paris, qui avait un peu toutes les données, de tous les camps. Ils ont fait des recherches, ça a duré des années, peut-être 4-5 ans. J'ai su qu'elle était donc à Bart (?) dans cette mine de sel. On a pu retrouver une belge qui était dans la même mine de sel. Et moi j'étais déjà mariée, on est parti avec mon mari en Belgique. C'était dans les Ardennes belge, du côté de Sedan, y'avait que la Meuse à traverser, un patelin appelé Bouillon (?), j'ai trouvé une dame qui était avec elle. "Oh" elle dit "tu sais, elle est morte un peu comme les ouvriers qui travaillent dans les mines de charbon, qui ont les poumons rongés, ça faisait le même effet". On l'attendait plus. Ca devait être une mort atroce parce que les poumons, ça vous étouffe après. On n'a pas su la suite. Après ma foi, moi je me suis mariée aussi, j'ai trouvé un jules, là-bas, dans le coin où était mon frère. J'ai trouvé un coiffeur, il était locataire du salon et dans le journal de la coiffure il a trouvé un salon a acheté. Il était né à Grenoble et voulait retourner dans le coin. On a acheté un salon à Gaillard près de la frontière de Moëllesullaz "Chez Guy", c'était le prénom de mon mari.
Au village, bien sûr je ne pouvais pas rentrer chez moi, les scellés étaient mis. Pour rien, parce qu'il n'y avait déjà plus rien dedans. C'était vide. Ca a été cambriolé, on ne sait pas par qui. Des gens du village peut-être. Quand mon père est rentré y'avait rien rien rien. Il a fallu qu'il aille chez un cousin. Même sa sœur, là où j'étais, elle pouvait pas le loger parce qu'elle avait deux filles, parce que ceci, parce que cela… Bon. Il était plus de trois mois chez un cousin qui l'a hébergé comme ça. Il a fallu qu'il se refasse une santé, on l'a fait travaillé dans la même usine où on était avant, il était contremaître, on l'a repris à mi-temps, parce qu'il avait plus d'argent non plus. Il a été très long à se remettre. Il avait 47 ans. Il était de 98. Non, c'est malheureux, c'est une région qui est très jolie, c'est très joli mais on a toujours été enquiquiné. Mon père a changé 4 fois de nationalité, moi j'ai changé 3 fois. Je suis née française en 1920. Les Allemands ont changé tous les noms de rue, les papiers. Ca n'arrivera plus maintenant, je ne crois pas, je ne pense pas.
J'ai reconnu mon père à son retour. Mais alors, mais alors, il en voulait tellement aux Allemands, il voulait en tuer quelques-uns. Je lui ai dit "sois déjà content d'être là, occupes-toi de toi". Mais à la maison y'avait rien. Lui il a survécu, survécu. Il était tout seul. Je voulais qu'il vienne ici.  Je crois que ça lui avait un petit peu tourné la tête. Il est mort en 50 et quelques choses. Il a survécu.

 

Le moral maintenant

Moi qui ai vu des choses épouvantables, je relève maintenant le moral aux autres. Si on se laisse aller… je serais plus là. Je me remémorerais tout ce que j'ai vécu, ce que j'ai vu et ça c'est mauvais pour le moral. Ca ne sert à rien. Il faut pas se laisser aller. C'est pas parce que je suis vieille que je me mets du noir sur le dos… non, non, non! C'est pas mon truc.
Autant qu'on peut, autant rigoler un petit peu.

 

La résistance: les grenades

Nous quand on a amené mon frère à la frontière suisse à Bâle, on a tout passé par les bois. Parce qu'on habitait… on était vite dans les bois. Il y avait un petit maquis. Ah oui,  je ne vous ai pas raconté. On n'habitait tout près d'un bois. Y'avait un petit maquis à l'endroit où je travaillais pendant la guerre, je travaillais dans un bureau dans une usine de textile. Mon père était contremaître, moi j'étais au bureau, ma mère était tisseuse. J'avais connu, pas loin, ça s'appelait Ferrète, vers l'Alsace, il y avait un maquis. Mon frère avant la guerre travaillait dans une usine à Mulhouse qui fabriquait des choses pour les militaires: des roulantes, des fûts de canon, de mitraillettes, de la grosse usine. Ils fabriquaient des grenades pour l'armée. Moi j'en portais à ce petit maquis, en vélo. Parce que j'allais travailler en vélo, en 40 c'était la guerre, j'avais un Ausweis, nous avions déjà été annexés. Je faisais mon machin, 15km en vélo, ça montait tout le long. Je devais passer deux endroits où il y avait de chaque côté de la route une guérite avec un gars, un Allemand qui vérifiait les papiers. J'avais mon Ausweis. Tamponné de ma mairie et de l'endroit où j'allais travailler. Tous les jours je faisais le cirque. A un moment donné, le copain de mon frère, il disait, "je fais des grenades, je travaille à la fonderie". Il raconte ça à mon père qui lui dit de lui en passer quelques-unes quand même. Il fallait les porter. Mes parents prenaient le train et moi j'allais en vélo. Les guérites étaient à environ 10km de chez moi, j'étais arrêtée tous les matins. C'était jamais le même… Un jour, il dévissa ma selle, passa un truc dedans pour voir si je n'avais pas de papiers compromettants, dans la tige (cf témoignage de Colonel!), le pédalier, et puis tout ça tout démonté… heureusement, jamais on m'a touchée…Pfuuuuh! Parce que je les avais sur moi…  Et je vous dis pas où… dans mon soutien-gorge, sous les seins! Mais c'est que c'était dangereux cette saloperie! Moi je voyais pas ça comme ça. Mon dieu, quelle horreur. Quand mon père m'a dit "tu fais très attention où c'est que tu passes avec ton vélo, roule pas trop dans les trous…" "Pourquoi?" "Ben dis- donc, les grenades…" "Ah ben merde alors, c'est dangereux ce truc-là?" "Eh ben oui!" Ah ben voilà! Aaaah! Ben bien. Ben vous savez….
Pendant au moins trois mois, j'ai traîné ça tous les jours deux…. Et le gars qui me les apportait, c'est qu'il pouvait pas se balader comme ça, je savais seulement qu'il s'appelait Théo. Il venait à pied, au moins 4-5 km dans les bois pour m'apporter tous les jours deux grenades. Mon père allait au grenier et faisait un signe à donner quand je partais avec une lampe de poche. Et Théo grimpait dans l'arbre, caché et descendait pour me donner les grenades. Je ne me suis pas faite arrêtée, je me sentais en règle avec mon Ausweis, tranquille; Quand mon père m'a dit "Fais attention"… Ben merde alors, je vais sauter avec! Sauf le samedi, parce qu'on ne travaillait pas. Quelle horreur! J'aurais sauté… Faut être jeune pour faire des combines comme ça, je ne me suis pas posée de questions. Je savais même pas que ça sautait! Oooh, après je faisais rudement attention où je passais… Quand j'arrivais à la guérite, j'avais quand même un peu la pétoche. J'avais des sacoches, il regardait dans les sacoches, quand il me fouillait le vélo. J'ai trouvé ça dangereux. Il fallait être gonflée ou innocente. J'étais en règle au point de vue papier.
Après je les donnais à un copain qui était avec moi dans le bureau à l'usine et lui les portait dans un maquis. Il avait que 5km à faire. J'étais agent de liaison.
On a passé des jeunes gens, c'était nous, mon père. Pour mon frère et les copains. Y'a qu'un dimanche, on allait à la messe, je me rappelle, c'était la mode, un copain qui me disait on voit plus ton frangin à l'église. "oh, il fait du foot" c'était vrai. "Il est là, il est là" Il était plus là. Il fallait que je trouve toujours un alibi. C'était prendre du risque et être un petit peu, je me méfiais pas tellement de tout ce qui pouvait arriver. Au passage des guérites j'avais peur, j'avais les jambes qui tremblaient sur les pédales… J'étais quand même jamais bien sûre.

 

La trahison

Mon père avait une idée de qui c'était. On avait un maire pro allemand. Mon père était sûr que c'était lui. On n'a jamais pu nous voir. C'est sûr. On partait toujours avec un outil, un râteau, une pioche. Les seules voitures qui roulaient c'était les Allemands à l'époque, parce qu'ils avaient tout réquisitionné. y'avait quelques tractions, des camions, des paysans, tout ce qui roulaient, surtout les side-cars… on les entendait de loin. A un moment donné, pour parvenir à la frontière, on était dans les champs, en dehors de la forêt… sitôt qu'on entendait un moteur, on commençait à piocher dans un champ, n'importe où… Y'a qu'une fois qu'on a rencontré le paysan!Oh non de non! Mon père a entendu un moteur. On commence tous à piocher. Le paysan dit "qu'est-ce que vous foutez dans mon champ là!" Alors mon père a dit "On avait envie de piocher" et le gars, heureusement il pensait comme nous "j'ai compris ça va!". Il nous aurait donné sinon! Fallait jouer de ruse. Mon père était infernal pour ça. Il était soldat allemand à la guerre de 14. Son père a pu se sauver, il était soldat français derrière Belfort… Vous n'avez qu'à voir un peu… Mon père il s'est tapé trois ans de Russie… Il est rentré qu'en 1919. Il pouvait pas rentrer parce qu'il y avait de la neige. Il s'en est vu. Ils étaient chez l'habitant. Y'avait que des femmes. Un livre à écrire. Il est allé au sana car il avait été gazé. Quand il est rentré il était en mauvais état aussi.

 

L'association

Je suis rentrée pas tellement vite mais j'avais contact avec une qui m'incitait à venir. Une fois par an on se voyait, un rassemblement. On va fermer le bureau parce qu'on est plus assez nombreuses. Elles sont beaucoup en ville, en immeuble et j'ai deux trois copines qui viennent pour les vacances, à la campagne.
Le témoignage
J'ai parlé longtemps après. En 55, pas avant. Parce qu'on ne voulait plus en parler. A une voisine… est-ce qu'elle m'aurait cru. Même le docteur ne m'a pas cru. A l'association puis petit à petit ça s'est su sous le règne à Giscard d'Estaing, c'est venu dans les manules scolaires et on a témoigné dans les écoles. Ca va s'arrêter. C'est toujours dur de dire. Au moment où on raconte, on voit celles qui ne sont plus. On ne peut pas vivre avec.

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